Voyager au Travers des Imaginaires

« Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage » dit le poème de Joachim Du Bellay.

En cette période estivale, nous vous invitons à (re)découvrir la notion de voyage par les imaginaires.

Qu’est-ce que voyager ? Selon le Petit Robert, le voyage est « un déplacement d’une personne qui se rend en un lieu assez éloigné ». Par essence, le voyage nous oblige donc à nous décentrer pour aller à la découverte d’un endroit inhabituel ou en tout cas à prendre de la distance avec notre foyer. De moyen de se distraire à style littéraire à part entière, le voyage imaginaire constitue quant à lui souvent une odyssée emplie de péripéties et rebondissements dont les limites spatiales et temporelles ne dépendent que de notre imagination. A l’heure où les incertitudes nous submergent et où la pandémie de Covid continue de faire rage, il constitue un territoire privilégié de liberté mais également, comme nous allons le voir, de réassurance.

Le voyage par les imaginaires : un moyen d’évasion, bon pour notre corps et notre tête !

Voyager signifie tout d’abord sortir de son quotidien. Il s’agit pour l’individu de remettre de l’extraordinaire dans l’ordinaire en réalisant un fantasme de dépaysement. C’est le cas d’un grand récit de la littérature de voyage, L’usage du monde, dans lequel Nicolas Bouvier du haut de ces vingt-cinq ans parcourt en Fiat 500 Topolino la Suisse jusqu’au Pakistan à la découverte d’autres peuples et cultures.

Nicolas Bouvier

En allant chercher de l’exotisme, en prenant la route vers l’Ailleurs avec un grand A, nous cherchons par le voyage à échapper à une réalité connue et parfois morose. La mise en mouvement, même virtuelle puisqu’uniquement par la pensée, génère chez nous une excitation, une mise en joie qui nous fait du bien. En effet, il a été prouvé que simuler un voyage était bon pour la santé physique et mentale des patients atteints d’Alzheimer et donne lieu aujourd’hui à une véritable thérapie mise en place dans les EHPAD intitulée Gran Via.

Au travers du récit de voyage, nous partons à la découverte de mondes nouveaux parfois existants, souvent fictifs qui nous permettent de concevoir d’autres façons de vivre, libérés de nos contraintes actuelles. Car avec l’imagination, rien n’est impossible ! Ce constat sert d’ailleurs de point de départ au festival « Voyage Imaginaire » qui vise à faire vivre aux enfants hospitalisés des expériences de dépaysement pendant quelques jours en mettant de côté leur maladie grâce aux arts de la scène.

Voyager au travers des imaginaires est rendu possible grâce à une pluralité de media. Il est intéressant à ce titre de souligner le rôle des jeux vidéos et plus généralement des nouveaux supports que sont la réalité augmentée, la réalité virtuelle ou encore le métaverse dans la création de nouveaux imaginaires. De Uncharted à Tomb Raider en passant par Assassin’s Creed, ces nouveaux vecteurs nous plongent dans des univers au graphisme époustouflant, s’inspirant de lieux réels ou imagés à différentes époques et surtout à portée de main.

Quand nous voyageons par la pensée, nous nous donnons également la possibilité de nous égarer en toute sécurité. Nous sommes allés trop loin ? Nous avons perdu nos repères ? Rassurons-nous, il nous suffit d’ouvrir les yeux pour retrouver l’environnement connu et relativement maîtrisé qu’est notre domicile.

Le voyage par les imaginaires ou l’exploration mentale et multisensorielle de mondes (in)connus.

« Aucune carte du monde n’est digne d’un regard si le pays de l’utopie n’y figure pas » – Oscar Wilde.

Le voyage imaginaire relève d’une forme d’émerveillement par anticipation. En explorant des mondes (in)connus par le récit que d’autres en ont fait, nous expérimentons des mondes et des sensations nouvelles qui participent à nous alimenter intellectuellement. A ce titre, les voyages de Jules Verne que ce soit Le Tour du Monde en quatre-vingts jours ou Voyage au centre de la Terre constituent de véritables explorations scientifiques bien que fictives.

Utiliser son imagination pour voyager permet de jouer des scénarios dans des mondes où apparaissent similitudes et différences avec notre monde actuel. Notre esprit se fait critique pour apprécier ce qui pourrait être et ce qui relève à priori de l’impossible.

Un bon récit de voyage est également source d’expériences sensorielles fortes. Qui n’a jamais vibré à l’évocation d’un paysage fabuleux, entendu le bruit d’une rivière, ressenti le froid glacial à l’évocation d’un vent montagnard ?

Le voyage à Nantes, événement reconduit chaque été depuis 2011, est une invitation à cheminer à la fois dans l’histoire de la ville mais également dans une interprétation artistique de cette histoire, stimulant les cinq sens. L’événement permet ainsi à la fois de redécouvrir le passé de la ville mais de la découvrir dans sa diversité et sa richesse actuelle et à venir.

Le voyage, une expérience de trans-formation de soi.

« Les voyages imaginaires comme les contes contiennent certains de ces schémas qui relèvent souvent du symbolisme initiatique » Farid Abdelouashad dans Voyages Imaginaires – De Jules Verne à James Cameron.

A l’instar du Candide de Voltaire, le voyage constitue un alibi pour partir à la découverte de soi. Par les rencontres, la confrontation avec l’altérité et les interrogations que cela suscite, nous nous trouvons confrontés à nous-mêmes, nos valeurs, nos envies et nos peurs. Le voyage devient ainsi un parcours initiatique dont chaque étape est l’occasion de s’interroger, de se positionner, de faire des choix et finalement de se mettre à l’épreuve. 

Contrairement aux voyages réels, les voyages imaginaires sont illimités et permettent d’assouvir une quête d’absolu. Le voyage est l’occasion d’une introspection, d’un cheminement intérieur, riche d’apprentissages qui nous fait évoluer, mûrir. Le récit de voyage a les mêmes vertus dans la mesure où il s’agit d’une projection dans le voyage. En revanche, il permet de cheminer à notre rythme, selon des modalités qui nous sont propres, nous plaçant dans une situation d’inconfort maîtrisée et sécurisante.

Le voyage imaginaire comme genre littéraire

Le voyage imaginaire est un genre de récit utopique, satirique ou de vulgarisation scientifique qui se place dans le cadre fictif d’un récit de voyage. Il est considéré comme un genre relevant de la proto science-fiction et adopte généralement une narration romanesque pour faire réfléchir à des enjeux sociétaux bien réels et des techniques émergentes. Un roman emblématique de ce style est L’Utopie de Thomas More.

Le voyage imaginaire dans sa forme actuelle émerge au 13ème siècle et utilise le fantastique pour explorer des mondes fictifs, sources de questionnements. Il se développe au 17ème siècle avec la prolifération de lieux mythiques tels La Cité du Soleil de Tommaso Campanella (1623) ou La Nouvelle Atlantide de Francis Bacon (1627). L’aspect satirique des récits fait quant à lui son apparition avec Gargantua et Pantagruel (1532) de François Rabelais et est aujourd’hui incarné par les Voyages de Gulliver de Jonathan Swift (1726).

Avec ses trente-cinq tomes des “Voyages extraordinaires“, Jules Verne est devenu l’auteur le plus représentatif du genre.

Le voyage imaginaire rapidement après sa genèse s’est positionné comme un support de promotion privilégié de nouvelles destinations telles que les fonds marins avec Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne (1869) ou encore l’espace comme l’illustrent The Discovery of a World in the Moone de John Wilkins (1638) ou encore Micromégas de Voltaire (1752).

Ces récits fictifs d’aventure, que nous dévorons encore aujourd’hui depuis nos canapés, constituent aujourd’hui le socle de nos représentations collectives du voyage.

Voyager au travers de nos imaginaires au XXIème siècle, quel(s) modèle(s) de pensée ?

Notre conception du monde est façonnée par nos imaginaires. S’intéresser aux imaginaires du voyage au XXIème siècle revient donc à se pencher sur ce qui nous préoccupe, nous intéresse, nous fait rêver aujourd’hui.

 En 1787, Charles Garnier dans sa collection Voyages imaginaires, songes, visions, et romans cabalistiques recensait les voyages imaginaires et identifiait les modèles d’imaginaires collectifs autour des voyages. Il montrait alors que l’Odyssée d’Homère avait cessé d’être la grille de lecture principale de ces imaginaires au profit de Robinson Crusoé de Daniel Defoe.

En temps de pandémie, ce modèle reste t’il valable ? Que disent les nouveaux imaginaires de voyage de notre temps ? Rêvons-nous toujours après avoir été confinés de nous retrouver seuls sur une lointaine île déserte ? De retrouver nos racines comme dans Retour en Bretagne de Guillaume Dieuleveult ? Ou nos imaginaires sont-ils en train d’évoluer vers davantage de sociabilité et de proximité comme dans le roman Tout de bleu du ciel de Mélissa Da Costa où le voyage se fait à plusieurs dans un camping-car ? A moins que nous ne repoussions le monde connu pour aller explorer de nouvelles planètes comme dans le cycle Fondation d’Isaac Asimov ? Ou que nous partions dans un voyage intérieur comme dans Voyager dans l’invisible de Charles Stépanoff ? Et si nos futurs voyages s’inscrivaient dans davantage d’éco-conception et de respect de notre environnement ?

Imaginer c’est commencer à faire émerger des possibilités qui pourraient devenir nos réalités de demain. La vraie question à se poser est donc de savoir ce que nous souhaitons voir advenir.

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